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LES CONJONCTIONS DE COORDINATION
Ou l'art de lier ses pensées chez La Bruyère
BADIOU-MONFERRAN CLAIRE
Depuis Ménage, la "manière d'écrire toute nouvelle" de La Bruyère est placée sous le signe de la discontinuité. Dans un texte préfaciel célèbre, l'auteur des Mœurs de ce siècle renonce pourtant à la tradition du "style coupé" en faisant sien "l'art de lier ses pensées et de faire des transitions": à sa suite, nous montrons que les conjonctions de coordination, principal objet des variantes éditoriales, occupent une place de choix dans la poétique des Caractères, ne serait-ce que parce que, permettant de penser la solidarité des contraires, elles substituent à la rhétorique apparente de la "parole en archipel" une architecture plus secrète, fondée sur la "liaison du discontinu". Entre la juxtaposition pure, renvoyant, dans Les Caractères, à un univers privé de signification spirituelle, et la subordination, renvoyant à un absolu hiératique, La Bruyère emprunte une voie moyenne, celle de la parataxe syndétique, parce qu'elle lui permet de conjoindre la discordance du réel à la postulation d'une harmonie supérieure. Les conjonctions de coordination définissent ainsi une grammaire de la spiritualité, située à mi-chemin entre l'optimisme cartésien et le pessimisme janséniste. L'étude de style prend appui sur une étude de langue qui, partant des débats fondamentaux dont les conjonctions de coordination font l'objet dans les divers courants de la linguistique contemporaine, propose de redéfinir la catégorie grammaticale en question, dans une perspective qui s'inspire de la psychomécanique guillaumienne comme des théories de l'argumentation dans la langue.